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était complice, parut au roi une oppression insolente exercée sur sa liberté personnelle et sur la constitution. La popularité de M. de Narbonne baissait à mesure que celle des Girondins devenait plus audacieuse. L’Assemblée commençait à changer ses applaudissements en murmures quand il paraissait à la tribune ; on l’en avait fait honteusement descendre quelques jours auparavant pour avoir blessé la susceptibilité plébéienne, en faisant un appel aux membres les plus distingués de l’Assemblée. L’aristocratie de son rang perçait à travers son uniforme. Le peuple voulait des hommes rudes comme lui dans le conseil. Entre le roi offensé et les Girondins défiants, M. de Narbonne tomba. Le roi le destitua ; il alla servir dans l’armée qu’il avait organisée.

Ses amis ne cachèrent pas leur ressentiment. Madame de Staël perdit en lui son idéal et son ambition dans un seul homme ; mais elle ne perdit pas l’espérance de reconquérir pour M. de Narbonne la confiance du roi et un grand rôle politique. Elle avait voulu en faire un Mirabeau, elle rêva d’en faire un Monk. De ce jour-là elle conçut l’idée d’arracher le roi aux Girondins et aux Jacobins, de le faire enlever par M. de Narbonne et par les constitutionnels pour le placer au milieu de l’armée et pour le ramener par la force, écraser les partis extrêmes et fonder son gouvernement idéal : une liberté aristocratique. Femme de génie, son génie avait les préjugés de sa naissance ; plébéienne de cœur, entre le trône et le peuple il lui fallait des patriciens. Le premier coup porté à M. de Lessart partit de la main d’un homme qui fréquentait le salon de madame de Staël.