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le feu des bataillons du faubourg qui occupaient le Pont-Royal et le bord de l’eau. La colonne prend cette direction ; mais la grille de la Reine, qui donnait accès au jardin, était fermée. On fait des efforts désespérés pour la forcer. La grille résiste. On parvient avec peine à faire fléchir un des barreaux de fer massif sous le levier des baïonnettes. On pratique une ouverture par où la colonne ne peut s’échapper qu’homme à homme. C’est par ce guichet que cinq cents soldats, gentilshommes et gardes nationaux, doivent sortir, choisis et visés à loisir par les fusils de deux bataillons. Ils sortent néanmoins ; car les cris de leurs camarades massacrés derrière eux leur font préférer une balle prompte et mortelle à un massacre atroce et lent. Les sept premiers qui traversent la grille tombent en la franchissant, les autres passent au pas de course sur leurs corps et s’élancent vers le jardin. Les habits rouges des Suisses désignent ces soldats aux feux des bataillons. Cet acharnement contre eux sauve une partie des gentilshommes. La balle choisit l’étranger et épargne le Français. Tous les Suisses meurent ou sont atteints dans la fuite. Parmi les serviteurs du roi et les volontaires, deux seulement sont tués : M. de Clermont d’Amboise et M. de Castéja. Les autres atteignent les arbres, qui les protégent, reçoivent à bout portant le feu d’un poste de garde nationale placé au milieu du jardin, laissent trente morts dans la grande allée, et parviennent à la porte du Manége. Là M. de Choiseul, au nom du roi, se porte intrépidement au-devant d’eux, les rallie et pénètre, l’épée à la main, dans l’enceinte de l’Assemblée, pour mettre ces Français sous la sauvegarde de la nation.