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peuple jusque sur la place. Le canon du Carrousel répond à cette décharge, mais ses boulets, mal dirigés, vont frapper les toits. La cour Royale se vide et reste jonchée de fusils, de piques, de bonnets de grenadiers. Les fuyards se glissent et rampent le long des murailles, à l’abri des guérites des sentinelles à cheval. Quelques-uns se couchent à terre et contrefont les morts. Les canonniers abandonnent leurs pièces et sont entraînés eux-mêmes dans la panique générale.

À cet aspect, les Suisses descendent en masse du grand escalier et se divisent en deux colonnes : l’une, commandée par M. de Salis, sort par la porte du jardin pour aller s’emparer de deux pièces de canon qui étaient à la porte du Manége et les ramener au château ; l’autre, au nombre de cent vingt hommes et de quelques gardes nationaux, sous les ordres de MM. de Durler et Pfyffer, débouche par la cour Royale en passant sur les cadavres de leurs camarades égorgés. La seule apparition des soldats balaye la cour. Ils s’emparent des quatre pièces de canon abandonnées, ils les ramènent sous la voûte du vestibule ; mais ils n’ont ni munitions ni mèches pour s’en servir.

Le capitaine de Durler, voyant la cour évacuée, pénètre lui-même dans le Carrousel par la porte Royale, s’y forme en bataillon carré et fait un feu roulant des trois fronts de sa troupe sur les trois parties de la place. Le peuple, les fédérés, les Marseillais, se replient sur les quais, sur les rues, et impriment un mouvement de reflux et de terreur qui se communique jusqu’à l’hôtel de ville et jusqu’aux boulevards. Pendant que ces deux colonnes parcouraient le Carrousel, quatre-vingts Suisses, une centaine de gentilshommes volontaires et trente gardes nationaux, se formant