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appelle au secours de vos frères de Paris. Vous êtes accourus des extrémités de l’empire pour défendre la tête de la nation menacée dans la capitale par les conspirations du despotisme ! Que ce tocsin sonne la dernière heure des rois et la première heure de la vengeance et de la liberté du peuple ! Aux armes, et ça ira ! »

À peine Danton avait-il proféré ces rapides paroles que l’air du Ça ira ébranla les voûtes des Cordeliers. Carra, Fabre d’Églantine, Rebecqui, Barbaroux, Fournier l’Américain, avaient passé la nuit à ranger les Marseillais sous les armes, et à grouper autour de leurs bataillons les fédérés de Brest. Un grand nombre de fédérés isolés des départements s’étaient joints à cette tête de colonne, et avaient formé un véritable campement révolutionnaire dans les cours et dans les bâtiments des Cordeliers. Les canonniers brestois et marseillais s’étaient couchés, la mèche allumée, auprès de leurs pièces. Danton s’était retiré incertain encore des succès de la nuit. Pendant qu’on le croyait occupé à nouer dans de mystérieux conciliabules les dernières trames de la conjuration, il était rentré dans l’intérieur de sa maison, et s’était couché tout habillé pour dormir un instant, pendant que sa femme veillait et pleurait à côté de son lit. Après avoir conçu le plan et imprimé l’impulsion, il avait abandonné l’action aux hommes de coups de main, et le sort de la pensée à la lâcheté ou à l’énergie du peuple. Ce n’était point timidité, c’était une théorie profonde des révolutions. Danton avait la philosophie des tempêtes ; il savait qu’une fois formées il est impossible de les diriger, et qu’il y a dans les convulsions des peuples, comme dans les batailles, des hasards auxquels un homme ne peut rien que s’asseoir et s’endormir en les attendant.