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Vers quatre heures, le roi sortit de sa chambre à coucher et reparut dans la chambre du Conseil. On voyait au froissement de son habit et au désordre de sa coiffure qu’il s’était jeté un moment sur son lit. Ses cheveux, poudrés et bouclés d’un côté de la tête, étaient aplatis et sans poudre de l’autre côté. Ses traits pâlis, ses yeux bourrelés, les muscles de sa bouche détendus et palpitants de mouvements involontaires, attestaient qu’il avait pleuré en secret. Mais la même sérénité régnait sur son front et le même sourire de bonté sur ses lèvres. Il n’était pas au pouvoir des choses humaines d’imprimer un ressentiment dans l’âme ou sur les traits de ce prince. Ses amis n’ont jamais aimé, ses ennemis n’ont jamais méprisé en lui que sa bonté : c’était son défaut et sa vertu. La reine et Madame Élisabeth se jetèrent avec un sourire de bonheur dans ses bras ; elles l’entraînèrent dans l’embrasure d’une fenêtre et lui parlèrent quelques minutes à voix basse. Les gestes étaient ceux de la plus tendre familiarité ; chacune des deux princesses tenait une des mains du roi dans les siennes. Il les regardait tour à tour avec tristesse et semblait leur demander pardon des tourments qu’elles subissaient à cause de lui. Tout le monde s’était éloigné avec respect.

La famille royale passa ensuite du côté des cours, pour juger sans doute du nombre et de l’attitude des troupes campées sous le palais. Un peu après, la reine fit appeler Rœderer. Il trouva cette princesse dans l’appartement de Thierri, valet de chambre du roi. Cette chambre ouvrait sur le petit atelier de serrurerie de Louis XVI. Marie-Antoinette était seule, assise près de la cheminée, le dos tourné à la fenêtre. M. Dubouchage, ministre de la marine, entra et se tint un peu à l’écart, comme un homme qui sur-