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vation soudaine, des crimes et du supplice auxquels cette soirée fatale allait vouer son père. Danton était serein, résolu, presque jovial, avec une arrière-pensée de gravité ; heureux de l’approche d’un grand mouvement et indifférent au résultat, pourvu qu’il en sortît de l’action pour son génie. On n’était pas bien sûr encore que le peuple se levât en masse assez imposante et que le mouvement pût avoir lieu cette nuit. Madame Desmoulins prétendait qu’il aurait lieu, et qu’il serait triomphant. Elle trouvait ces pronostics dans son bonheur, et elle les affirmait en riant. « Peut-on rire aussi follement dans une heure si inquiète ! lui dit plusieurs fois madame Danton. — Hélas ! répondait la jeune républicaine, qui changeait de physionomie et d’accent comme d’impression, cette gaieté insensée me présage peut-être que je verserai bien des larmes ce soir ! »


VI

Le ciel était serein ; les femmes descendirent pour respirer l’air et firent quelques pas dans la rue. Il y avait assez de mouvement. Plusieurs sans-culottes passèrent en criant : « Vive la nation ! » puis quelques troupes à cheval, enfin une foule immense. Lucile commença à être prise de peur. « Allons-nous-en, » dit-elle à ses compagnes. Madame Danton, accoutumée aux tumultes au milieu desquels vivait son mari, se moqua de la peur de Lucile. Cependant, à force de lui entendre répéter qu’elle tremblait, elle-même