Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 10.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

respectueux dans tous ces fronts. En approchant de la chambre du roi, des groupes de courtisans et de gardes lui barrèrent avec affectation les portes en lui tournant le dos et en serrant les coudes ; rebuté de ce côté, il entra dans les appartements de la reine. Le couvert était mis pour le dîner de la famille royale. « Prenez garde aux plats ! » crièrent des voix outrageantes, comme si on eût vu entrer un empoisonneur public. Le prince indigné rougit, pâlit, crut reconnaître la haine de la reine et un mot d’ordre donné par le roi dans ces insultes. Il regagna l’escalier pour sortir du palais. De nouvelles huées, de nouveaux outrages l’y poursuivirent. Du haut de la rampe qu’il descendait, on cracha sur ses habits et jusque sur sa tête. Des poignards l’auraient blessé moins cruellement que ces assassinats du mépris. Il était rentré apaisé, il sortit implacable. Il sentit qu’il n’avait de refuge contre la cour que dans les derniers rangs de la démocratie. Il s’y précipita résolûment, pour y trouver la sûreté ou la vengeance.

Informés bientôt de ces insultes, le roi et la reine, qui ne les avaient pas commandées, ne firent rien pour les réparer. Ils se sentirent secrètement flattés, peut-être, de la colère de leurs familiers, de l’avilissement de leur ennemi. La reine avait la faveur légère et la haine imprudente. La bonté ne manquait pas au roi, mais la grâce. Un mot d’Henri IV aurait puni ces insulteurs et ramené le prince à ses pieds : Louis XVI ne sut pas le dire ; le ressentiment couva dans le silence, et la destinée s’accomplit.