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XIII

Le lendemain, un des grands agitateurs de 89, le premier provocateur des états généraux, Duval d’Éprémesnil, devenu odieux à la nation parce qu’il n’avait voulu de la Révolution qu’au profit des parlements, et qu’une fois les parlements attaqués il s’était rangé du parti de la cour, fut rencontré sur la terrasse des Feuillants par des groupes de peuple qui l’insultèrent et le désignèrent à la fureur des Marseillais. Atteint de plusieurs coups de sabre, abattu sous les pieds des assassins, traîné tout sanglant par les cheveux dans le ruisseau de la rue Saint-Honoré vers un égout, on allait l’y jeter ; quelques gardes nationaux l’arrachérent mourant des mains des meurtriers et le portèrent au poste du Palais-Royal. La foule, altérée de sang, assiégeait les portes du corps de garde. Pétion averti accourut, se fit jour, entra au poste, contempla d’Éprémesnil longtemps en silence, les bras croisés sur sa poitrine, et s’évanouit d’horreur à la vue de ce sinistre retour de l’opinion. Quand le maire de Paris eut repris ses sens, l’infortuné d’Éprémesnil se souleva péniblement du lit de camp où il était étendu. « Et moi aussi, monsieur, dit-il à Pétion, j’ai été l’idole du peuple, et vous voyez ce qu’il a fait de moi ! Puisse-t-il vous réserver un autre sort ! » Pétion ne répondit rien, des larmes roulèrent dans ses yeux ; il eut de ce jour le pressentiment de l’inconstance et de l’ingratitude du peuple.