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éloquence à loisir, comme le soldat polit son arme au repos. Il ne voulait pas seulement que ses coups fussent mortels, il voulait qu’ils fussent brillants ; aussi curieux de l’art que de la politique. Le coup porté, il en abandonnait le contrecoup à la destinée et s’abandonnait de nouveau lui-même à la mollesse. Ce n’était pas l’homme de toutes les heures, c’était l’homme des grandes journées.


V

Vergniaud était de taille moyenne. Sa stature robuste et carrée avait l’aplomb de la statue de l’orateur : on y sentait le lutteur de paroles ; son nez était court, large, fièrement relevé des narines ; ses lèvres un peu épaisses dessinaient fermement sa bouche : on voyait qu’elles avaient été modelées pour jeter la parole à grands flots, comme les lèvres d’un triton à l’ouverture d’une grande source ; ses yeux noirs et pleins d’éclairs semblaient jaillir sous des sourcils proéminents ; son front large et plan avait ce poli du miroir où se réfléchit l’intelligence ; ses cheveux châtains ondoyaient aux secousses de sa tête ainsi que ceux de Mirabeau. La peau de son visage était timbrée par la petite vérole, comme un marbre dégrossi par le marteau à diamant du tailleur de pierre. Son teint pâle avait la lividité des émotions profondes. Au repos, nul n’aurait remarqué cet homme dans une foule. Il aurait passé avec le vulgaire sans blesser et sans arrêter le regard. Mais quand l’âme se répandait