Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 10.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

indigent. Boyer-Fonfrède et Ducos de Bordeaux, ses deux amis, le reçoivent pour hôte à leur table et sous leur toit. Vergniaud, insouciant des moyens de succès comme tous les hommes qui se sentent une grande force intérieure, travaillait peu et se fiait à l’occasion et à la nature. Son génie, malheureusement indolent, aimait à sommeiller et à s’abandonner aux nonchalances de l’âge et de l’esprit. Il fallait le secouer pour le réveiller de ses loisirs de jeunesse et le pousser à la tribune ou au conseil. Pour lui, comme pour les Orientaux, il n’y avait point de transition entre l’oisiveté et l’héroïsme. L’action l’enlevait, mais le lassait vite. Il retombait dans la rêverie du talent.

Brissot, Guadet, Gensonné, l’entraînèrent chez madame Roland. Elle ne le trouvait pas assez viril et assez ambitieux pour son génie. Ses mœurs méridionales, ses goûts littéraires, son attrait pour une beauté moins impérieuse, le ramenaient sans cesse dans la société d’une actrice du Théâtre-Français, madame Simon-Candeille. Il avait écrit pour elle, sous un autre nom, quelques scènes du drame alors célèbre de la Belle Fermière. Cette jeune femme, à la fois poëte, écrivain, comédienne, déployait dans ce drame toutes les fascinations de son âme, de son talent et de sa beauté. Vergniaud s’enivrait, dans cette vie d’artiste, de musique, de déclamation et de plaisirs ; il se pressait de jouir de sa jeunesse, comme s’il eût eu le pressentiment qu’elle serait sitôt cueillie. Ses habitudes étaient méditatives et paresseuses. Il se levait au milieu du jour, il écrivait peu et sur des feuilles éparses ; il appuyait le papier sur ses genoux, comme un homme pressé qui se dispute le temps ; il composait ses discours lentement dans ses rêveries, et les retenait à l’aide de notes dans sa mémoire ; il polissait son