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Jusqu’alors Vergniaud n’avait été que disert ; ce jour-là, il fut la voix de la patrie. C’était un de ces hommes qui n’ont pas besoin de grandir lentement dans une assemblée. Ils paraissent grands, ils paraissent seuls, le jour où les événements leur donnent leur rôle. Il y avait peu de mois que Vergniaud était arrivé à Paris. Obscur, inconnu, modeste, sans pressentiment de lui-même, il s’était logé avec trois de ses collègues du Midi dans une pauvre chambre de la rue des Jeûneurs, puis dans un pavillon écarté du faubourg qu’entouraient les jardins de Tivoli. Les lettres qu’il écrivait à sa famille sont pleines des plus humbles détails de ce ménage domestique. Il a peine à vivre. Il surveille avec une stricte économie ses moindres dépenses. Quelques louis sollicités par lui de sa sœur lui paraissent une somme suffisante pour le soutenir longtemps. Il écrit qu’on lui fasse parvenir un peu de linge par la voie la moins chère. Il ne songe pas à la fortune, pas même à la gloire. Il vient au poste où le devoir l’envoie. Il s’effraye, dans sa naïveté patriotique, de la mission que Bordeaux lui impose. Une probité antique éclate dans les épanchements confidentiels de cette correspondance avec les siens. Sa famille a des intérêts à faire valoir auprès des ministres. Il se refuse à solliciter pour elle, dans la crainte que la demande d’une justice ne paraisse dans sa bouche commander une faveur. « Je me suis enchaîné à cet égard par la délicatesse, je me suis fait à moi-même ce décret, » dit-il à son beau-frère M. Alluaud, un second père pour lui.

Tous ces entretiens intimes entre Vergniaud, sa sœur et son beau-frère, respirent la simplicité, la tendresse d’âme, le foyer. Les racines de l’homme public trempent dans un sol pur de mœurs privées. Aucune trace d’esprit de faction,