Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 10.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rait bien triste et bien affligé, et nous nous devons tous de ménager son grand âge et ses vertus. Je vous ai dit si souvent de vous ménager vous-même, que, si vous m’aimez, vous penserez à vous. On a besoin de toutes ses forces dans les temps où nous sommes. Ah ! ne revenez pas… revenez le plus tard possible. Votre cœur serait trop navré, vous auriez trop à pleurer sur tous mes malheurs, vous qui m’aimez si tendrement. Cette race de tigres qui inonde le royaume jouirait bien cruellement si elle savait tout ce que nous souffrons. Adieu, ma chère Lamballe, je suis tout occupée de vous, et vous savez si je peux changer jamais. »

Madame de Lamballe, au contraire, s’était hâtée de revenir. Elle se pressait contre la reine comme pour être frappée du même coup. À côté d’elle se trouvaient à leur poste d’autres femmes courageuses, la princesse de Tarente, mesdames de Tourzel, de Makau, de La Roche-Aymon[1].

M. de Lajard, militaire de sang-froid, responsable au roi et à lui-même de tant de vies chères ou sacrées, re-

  1. La marquise de La Roche-Aymon, née de Beauvilliers, dame du palais de la reine Marie-Antoinette, ne considérait la vie de cour que comme une véritable charge pendant les heureux jours ; mais, à l’approche des mauvais, elle n’en remplit qu’avec plus de zèle et de dévouement les devoirs qui la rapprochaient de l’auguste princesse. Aussi, depuis les horribles scènes des 5 et 6 octobre, fut-elle constamment à côté de la reine.

    À la journée du 20 juin 1792, la reine, avec un touchant empressement, saisit l’occasion de lui prouver à quel point elle avait remarqué son changement de conduite. En entrant dans le salon où la famille royale était réunie peu d’instants avant que l’émeute eût forcé les portes des Tuileries, le roi, n’ayant pas aperçu madame de La Roche-Aymon, témoigna à haute voix son étonnement de son absence. Aussitôt la reine, avec un véritable élan, répondit au roi : « Ah ! Sire, n’avez-vous donc pas remarqué que