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de friperies en lambeaux, maigres, pâles, les yeux caves, les joues creusées par la misère, images de la faim ; le peuple enfin dans tout le désordre, dans toute la confusion, dans toute la nudité d’une ville qui sort à l’improviste de ses maisons, de ses ateliers, de ses mansardes, de ses lieux de débauche, de ses repaires : tel était l’aspect d’intimidation que les conjurés avaient voulu donner à cette foule.

Des drapeaux flottaient çà et là au-dessus des colonnes. Sur l’un était écrit : La sanction ou la mort ! Sur un autre : Rappel des ministres patriotes ! Sur un troisième : Tremble, tyran, ton heure est venue ! Un homme aux bras nus portait une potence à laquelle pendait l’effigie d’une femme couronnée, avec ces mots : Gare la lanterne ! Plus loin un groupe de mégères élevait à bras tendus une guillotine en relief ; un écriteau en expliquait l’usage : Justice nationale contre les tyrans ; Veto et sa femme à la mort ! Au milieu de ce désordre apparent, un ordre caché se laissait reconnaître. Quelques hommes en vestes ou en haillons, mais au linge fin et aux mains blanches, portaient sur leurs têtes des chapeaux où on lisait des signes de reconnaissance écrits en gros caractères avec de la craie blanche. On se réglait sur leur marche, et on suivait leur impulsion.

Le rassemblement principal s’écoula ainsi par la rue Saint-Antoine et par les avenues sombres du centre de Paris jusqu’à la rue Saint-Honoré. Il entraînait dans sa marche la population de ces quartiers. Plus ce torrent grossissait, plus il écumait. Là une bande de garçons bouchers s’y joignit : chacun de ces assommeurs d’abattoir portait au bout d’un fer de pique un cœur de veau percé de part en part et encore saignant, avec cette légende : Cœur