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moulins, aussi téméraire pour concevoir, était moins hardi pour exécuter. La nature, qui avait donné à ce jeune homme l’inquiétude des meneurs de foule, lui en avait refusé l’extérieur et la voix. Le peuple ne comprend rien aux forces intellectuelles. Une haute stature et une voix sonore sont deux conditions indispensables pour les favoris de la multitude. Camille Desmoulins était petit, maigre, sans éclat dans la voix. Il glapissait derrière Danton. Danton seul avait les rugissements de la foule.

Pétion avait au plus haut degré l’estime des anarchistes ; mais sa légalité officielle le dispensait de fomenter ouvertement le désordre. Il lui suffisait de le désirer. On ne pouvait rien sans lui. Il donnait sa complicité. Après eux venait Santerre, commandant du bataillon du faubourg Saint-Antoine. Santerre, fils d’un brasseur flamand, brasseur lui-même dans le faubourg, un de ces hommes que le peuple comprend parce qu’ils sont peuple, et qu’il respecte parce qu’ils sont riches, aristocrates de quartier se faisant pardonner leur fortune par leur familiarité. Connu des ouvriers, dont il employait un grand nombre dans sa brasserie ; connu de la foule, qui fréquentait le dimanche ses établissements de bière et de vin, Santerre était en outre prodigue de secours et de vivres pour les malheureux. Il avait distribué dans un moment de disette pour trois cent mille francs de pain. Il achetait sa popularité par sa bienfaisance. Il l’avait conquise par son courage à la prise de la Bastille ; il la prodiguait par sa présence dans toutes les émotions de la place publique. Il était de la race de ces brasseurs de Belgique qui enivraient le peuple de Gand pour l’insurger.

Le boucher Legendre, qui était à Danton ce que Danton était à Mirabeau, un degré descendant dans l’abîme de la