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Il n’est donné ni au devoir, ni à la liberté, de remplir tout entière l’âme d’une femme belle et passionnée comme elle. Le devoir glace le cœur, la politique le trompe, la vertu le retient, l’amour le remplit. Madame Roland aimait Buzot. Buzot adorait en elle son inspiratrice et son idole. Peut-être ne s’avouèrent-ils jamais par des paroles l’un à l’autre un sentiment qui leur eût été moins sacré le jour où il serait devenu coupable. Mais ce qu’ils se cachaient à eux-mêmes, ils l’ont comme involontairement révélé à leur mort. Il y a dans les derniers jours et dans les dernières heures de cet homme et de cette femme des soupirs, des gestes et des paroles qui laissent échapper devant la mort le secret contenu dans la vie ; mais le secret ainsi trahi garde son mystère à leur sentiment. La postérité a le droit de l’entrevoir, elle n’a pas le droit de l’accuser.

Roland, homme estimable, mais morose, avait les exigences de la faiblesse, sans en avoir la reconnaissance et la grâce envers sa compagne. Elle lui restait fidèle par respect d’elle-même plus que par attrait pour lui. Ils aimaient la même cause, la liberté. Mais le fanatisme de Roland était froid comme l’orgueil, celui de sa femme enflammé comme l’amour. Elle s’immolait tous les jours à la gloire de son mari ; à peine s’apercevait-il du sacrifice. On lit dans son cœur qu’elle porte ce joug avec fierté, mais que ce joug lui pèse. Elle peint Buzot avec complaisance et comme l’idéal d’une félicité intérieure. « Sensible, ardent, mélancolique, dit-elle, contemplateur passionné de la nature, il paraît fait pour goûter et pour donner le bonheur. Cet homme oublierait l’univers dans les douceurs des vertus privées. Capable d’élans sublimes et de constantes affections, le vulgaire, qui aime à rabaisser ce qu’il ne peut égaler, l’accuse de