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vint amoureux et l’épousa, malgré la résistance de sa famille. Ami et confident du duc d’Orléans, le comte de Sillery obtint pour sa femme une place à la cour de madame la duchesse d’Orléans. Le temps et son esprit firent le reste.

Le duc s’attacha à elle avec la double force de son admiration pour sa beauté et de son admiration pour la supériorité de son intelligence ; elle affermit un des empires par l’autre. Les plaintes de la duchesse outragée ne firent que changer le penchant du duc en obstination. Il fut dominé ; il voulut s’honorer de son sentiment ; il le proclama en cherchant seulement à le colorer du prétexte de l’éducation de ses enfants. La comtesse de Genlis poursuivait à la fois l’ambition des cours et la gloire des lettres : elle écrivait avec élégance ces ouvrages légers qui amusent l’oisiveté des femmes en égarant leur cœur sur des amours imaginaires. Les romans, dont plusieurs sont pour l’Occident ce que l’opium est pour les Orientaux, les rêves éveillés du jour, étaient devenus le besoin et l’événement des salons. Madame de Genlis en composait avec grâce, et elle les revêtait d’une certaine hypocrisie d’austérité qui donnait de la décence à l’amour ; elle affectait de plus une universalité de sciences qui faisait disparaître son sexe sous les prétentions de son esprit, et qui rappelait dans sa personne ces femmes de l’Italie professant la philosophie un voile sur le visage.

Le duc d’Orléans, novateur en tout, crut avoir trouvé dans une femme le mentor de ses fils. Il la nomma gouverneur de ses enfants. La duchesse irritée protesta contre ce scandale ; la cour se moqua, le public fut ébloui. L’opinion, qui cède à celui qui la brave, murmura, puis se tut ; l’avenir donna raison au père : les élèves de cette femme ne furent pas des princes, mais des hommes. Elle attirait au