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sens pour être sensible aux délices de l’intelligence ; mais le sentiment révolutionnaire lui conseillait instinctivement de rallier toutes les forces qui pouvaient un jour servir la liberté. Promptement lassé de la beauté et de la vertu de la duchesse d’Orléans, il avait conçu pour une femme belle, spirituelle, insinuante, un sentiment qui n’enchaînait pas les caprices de son cœur, mais qui dominait ses inconstances et qui gouvernait son esprit. Cette femme, séduisante alors, célèbre depuis, était mademoiselle du Crest, comtesse de Sillery-Genlis, fille du marquis de Saint-Aubin, gentilhomme du Charolais, sans fortune. Sa mère, jeune et belle encore elle-même, l’avait amenée à Paris, dans la maison de M. de La Popelinière, financier célèbre, dont elle avait captivé la vieillesse. Elle élevait sa fille pour la destinée douteuse de ces femmes à qui la nature a prodigué la beauté et l’esprit, et à qui la société a refusé le nécessaire ; aventurières de la société, quelquefois élevées, quelquefois avilies par elle.

Les maîtres les plus célèbres formaient cette enfant à tous les arts de l’esprit et de la main ; sa mère la formait à l’ambition. La condition subalterne de cette mère chez son opulent protecteur formait sa fille à la souplesse et à l’adulation des illustres domesticités. À seize ans, sa beauté précoce et son talent musical la faisaient déjà rechercher dans les salons ; sa mère l’y produisait dans une publicité équivoque entre le théâtre et le monde. Artiste pour les uns, elle était fille bien née pour les autres ; elle séduisait tous les yeux, les vieillards mêmes oubliaient leur âge. M. de Buffon l’appelait « ma fille » ; sa parenté avec madame de Montesson, veuve du duc d’Orléans, la rapprochait de la maison du jeune prince. Le comte de Sillery-Genlis en de-