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crites et de fourbes, pouvait jamais devenir à craindre ! Mais ce censeur incorruptible les inquiète. Ils disent qu’il s’est entendu avec moi pour se faire offrir la dictature. Ceci me regarde. Je déclare donc que Robespierre est si loin de disposer de ma plume, que je n’ai jamais eu avec lui la moindre relation. Je l’ai vu une seule fois, et cet unique entretien m’a convaincu qu’il n’était pas l’homme que je cherche pour le pouvoir suprême et énergique réclamé par la Révolution.

» Le premier mot qu’il m’adressa fut le reproche de tremper ma plume dans le sang des ennemis de la liberté, de parler toujours de corde, de glaive, de poignard, mots cruels que désavouait sans doute mon cœur et que discréditaient mes principes. Je le détrompai. « Apprenez, lui répondis-je, que mon crédit sur le peuple ne tient pas à mes idées, mais à mon audace, mais aux élans impétueux de mon âme, mais à mes cris de rage, de désespoir et de fureur contre les scélérats qui embarrassent l’action de la Révolution. Je sais la colère, la juste colère du peuple, et voilà pourquoi il m’écoute et il croit en moi. Ces cris d’alarme et de fureur que vous prenez pour des paroles en l’air sont la plus naïve et la plus sincère expression des passions qui dévorent mon âme. Oui, si j’avais eu dans ma main les bras du peuple après le décret contre la garnison de Nancy, j’aurais décimé les députés qui l’avaient rendu ; après l’instruction sur les événements des 5 et 6 octobre, j’aurais fait périr dans un bûcher tous les juges ; après les massacres du Champ de Mars, si j’avais eu deux mille hommes animés des mêmes ressentiments qui soulevaient mon sein, je serais allé à leur tête poignarder La Fayette au milieu de ses bataillons