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Persécuté ainsi par l’animosité de la cour, le duc d’Orléans fut refoulé de plus en plus dans l’isolement. Dans de fréquents voyages en Angleterre, il se lia d’amitié avec le prince de Galles, héritier du trône, prenant pour amis tous les ennemis de son père, jouant à la sédition, déshonoré de dettes, paré de scandales, prolongeant au delà de la jeunesse ces passions de princes, les chevaux, la table, le jeu, les femmes ; souriant aux menées et aux discours tribunitiens de Fox, de Sheridan, de Burke, et préludant à l’exercice du pouvoir royal par toutes les audaces d’un fils insoumis et d’un citoyen factieux.

Le duc d’Orléans puisa ainsi le goût de la liberté dans la vie de Londres. Il en rapporta en France les habitudes d’insolence contre la cour, l’appétit des agitations populaires, le mépris pour son propre rang, la familiarité avec la foule, la vie bourgeoise dans le palais, et cette simplicité des habits qui, en enlevant à la noblesse française son uniforme et en rapprochant tous les rangs, détruisait déjà entre les citoyens les inégalités du costume.

Livré alors exclusivement au soin de réparer sa fortune obérée, le duc d’Orléans construisit le Palais-Royal. Il changea les nobles et spacieux jardins de son palais en un marché de luxe, consacré le jour au trafic, la nuit aux jeux, à la débauche ; véritable sentine de vices bâtie au centre de la capitale : œuvre de cupidité que les antiques mœurs ne pardonnèrent pas à ce prince, et qui, adoptée peu à peu comme le Forum de l’oisiveté du peuple de Paris, devait devenir bientôt le berceau de la Révolution. Cette révolution s’avançait. Le prince l’attendait dans l’oisiveté, comme si la liberté du monde n’eût été qu’une favorite de plus.