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santerie : il répondit à Roland qu’il devait son sang à la nation, mais qu’il ne lui devait ni le sacrifice de ses goûts ni celui de ses amours ; qu’il comprenait le patriotisme en héros, et non en puritain. L’aigreur des paroles laissa du venin dans les âmes. Ils se séparèrent avec des ombrages mutuels.

De ce jour il s’abstint de venir aux réunions de madame Roland. Cette femme, qui connaissait le cœur humain par l’instinct supérieur de son génie et de son sexe, ne se trompa point aux dispositions du général. « L’heure est venue de perdre Dumouriez, dit-elle hardiment à ses amis : je sais bien, ajouta-t-elle en s’adressant à Roland, que tu ne saurais descendre ni à l’intrigue ni à la vengeance ; mais souviens-toi que Dumouriez doit conspirer dans son cœur contre ceux qui l’ont offensé. Quand on a osé faire de pareilles remontrances à un tel homme et qu’on les a faites inutilement, il faut frapper ou s’attendre à être frappé soi-même. » Elle sentait juste et elle disait vrai. Dumouriez, dont le coup d’œil rapide avait aperçu derrière les Girondins un parti plus fort et plus audacieux que le leur, commença dès lors à se lier avec les meneurs des Jacobins. Il pensa avec raison que la haine entre les partis serait plus puissante que le patriotisme, et qu’en flattant la rivalité de Robespierre et de Danton contre Brissot, Pétion et Roland, il trouverait dans les Jacobins mêmes un appui pour le gouvernement. Il aimait le roi, il plaignait la reine ; tous ses préjugés étaient pour la monarchie. Il eût été aussi fier de restituer le trône que de sauver la république. Habile à manier les hommes, tous les instruments lui étaient bons pour ses desseins : franchir les Girondins, qui, en opprimant le roi, le menaçaient lui-même, et aller chercher plus loin et plus bas que