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riez ne tarda pas à leur devenir suspect. Son esprit échappait à leur empire par sa grandeur, et son caractère échappait à leur fanatisme par sa souplesse. Madame Roland, séduite par son élégance, ne l’admirait pas sans remords ; elle sentait que le génie de cet homme était nécessaire à son parti, mais que le génie sans vertu pouvait être fatal à la république. Elle semait ses défiances contre Dumouriez dans l’âme de ses amis. Le roi ajournait sans cesse la sanction que lui demandaient les Girondins aux décrets de l’Assemblée contre les émigrés et les prêtres. Prévoyant que les ministres auraient tôt ou tard un compte sévère à rendre au public de ces sanctions ajournées, madame Roland voulut prendre ses mesures avec l’opinion. Elle persuada à son mari d’écrire au roi une lettre confidentielle pleine des plus austères leçons de patriotisme, de la lire lui-même en plein conseil devant ce prince, et d’en garder une copie que Roland rendrait publique au moment marqué, pour servir d’acte d’accusation contre Louis XVI et de justification pour lui-même. Cette précaution perfide contre la perfidie de la cour était odieuse comme un piége et lâche comme une dénonciation. La passion, qui trouble la vue de l’âme, pouvait seule aveugler une femme loyale sur la nature d’un pareil acte ; mais l’esprit de parti tient lieu de morale, de justice et aussi de vertu. Cette lettre était une arme cachée avec laquelle Roland se réservait de frapper à mort la réputation du roi en sauvant la sienne ; sa femme rédigea la lettre après l’avoir inspirée. Ce fut son seul crime, ou plutôt ce fut le seul égarement de sa haine ; ce fut aussi son seul remords au pied de l’échafaud.