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avances aux Jacobins et se présenta hardiment à leur séance du lendemain. La salle était pleine, Dumouriez frappe les tribunes d’étonnement et de silence par son apparition. Sa figure martiale et l’impétuosité de sa démarche lui gagnent d’avance la faveur de l’assemblée. Nul ne soupçonne que tant d’audace cache tant de ruse. On ne voit en lui qu’un ministre qui se donne au peuple, et les cœurs s’ouvrent pour le recevoir.

C’était le moment où le bonnet rouge, symbole des opinions les plus extrêmes, espèce de livrée du peuple portée par ses démagogues et ses flatteurs, venait d’être adopté par la presque unanimité des Jacobins. Ce signe, comme beaucoup de signes semblables que les révolutions prennent de la main du hasard, était un mystère pour ceux mêmes qui le portaient. On l’avait vu arboré pour la première fois le jour du triomphe des soldats de Châteauvieux. Les uns disaient qu’il était la coiffure des galériens, infâme jadis, glorieuse depuis qu’elle avait couvert le front de ces martyrs de l’insurrection ; on ajoutait que le peuple avait voulu purifier de toute infamie cette coiffure en la portant avec eux. Les autres y voyaient le bonnet phrygien, symbole d’affranchissement pour les esclaves.

Le bonnet rouge, dès le premier jour, avait été un sujet de dispute et de division parmi les Jacobins. Les exaltés s’en couvraient, les modérés et les penseurs s’abstenaient encore. Dumouriez n’hésite pas. Il monte à la tribune, il place sur ses cheveux ce signe du patriotisme, il prend l’uniforme du parti le plus prononcé. Cette éloquence muette, mais significative, fait éclater l’enthousiasme dans tous les rangs. « Frères et amis, dit Dumouriez, tous les moments de ma vie vont être consacrés à faire la volonté du