Je n’ai jamais connu lord Byron. J’avais écrit la plupart de mes Méditations avant d’avoir lu ce grand poëte. Ce fut un bonheur pour moi. La puissance sauvage, pittoresque et souvent perverse de ce génie aurait nécessairement entraîné ma jeune imagination hors de sa voie naturelle : j’aurais cessé d’être original, en voulant marcher sur ses traces. Lord Byron est incontestablement à mes yeux la plus grande nature poétique des siècles modernes. Mais le désir de produire plus d’effet sur les esprits blasés de son pays et de son temps l’a jeté dans le paradoxe. Il a voulu être le Lucifer révolte d’un pandœmonium humain. Il s’est donné un rôle de fantaisie dans je ne sais quel drame sinistre dont il est à la fois l’auteur et l’acteur. Il s’est fait énigme pour être deviné. On voit qu’il procédait de Goethe, le Byron allemand ; qu’il avait lu Faust, Méphistophélès, Marguerite, et qu’il s’est efforcé de réaliser en lui un Faust poëte, un don Juan lyrique. Plus tard il est descendu plus bas ; il s’est ravalé jusqu’à Rabelais, dans un poëme facétieux. Il a voulu faire de la poésie, qui est l’hymne de la terre, la grande raillerie