» Je marche dans la nuit par un chemin mauvais,
» Ignorant d’où je viens, incertain où je vais,
» Et je rappelle en vain ma jeunesse écoulée,
» Comme l’eau du torrent dans sa source troublée.
» Gloire à toi ! Le malheur en naissant m’a choisi ;
» Comme un jouet vivant ta droite m’a saisi ;
» J’ai mangé dans les pleurs le pain de ma misère,
» Et tu m’as abreuvé des eaux de ta colère.
» Gloire à toi ! J’ai crié, tu n’as pas répondu ;
» J’ai jeté sur la terre un regard confondu ;
» J’ai cherché dans le ciel le jour de ta justice ;
» Il s’est levé, Seigneur, et c’est pour mon supplice.
» Gloire à toi ! L’innocence est coupable à tes yeux :
» Un seul être, du moins, me restait sous les cieux ;
» Toi-même de nos jours avais mêlé la trame,
» Sa vie était ma vie, et son âme mon âme ;
» Comme un fruit encor vert du rameau détaché,
» Je l’ai vu de mon sein avant l’âge arraché !
» Ce coup, que tu voulais me rendre plus terrible,
» La frappa lentement pour m’être plus sensible :
» Dans ses traits expirants, où je lisais mon sort,
» J’ai vu lutter ensemble et l’amour et la mort ;
» J’ai vu dans ses regards la flamme de la vie,
» Sous la main du trépas par degrés assoupie,
» Se ranimer encore au souffle de l’amour.
» Je disais chaque jour : Soleil, encore un jour !
» Semblable au criminel qui, plongé dans les ombres,
» Et descendu vivant dans les demeures sombres,
» Près du dernier flambeau qui doive l’éclairer,
» Se penche sur sa lampe et la voit expirer,
» Je voulais retenir l’âme qui s’évapore ;
» Dans son dernier regard je la cherchais encore !
» Ce soupir, ô mon Dieu, dans ton sein s’exhala :
» Hors du monde avec lui mon espoir s’envola !
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