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DES DESTINÉES

d’action politique, un intérêt plus pressant, plus réel et plus intime que la scène du théâtre ; parce que les classes élevées de la société ne vont plus au théâtre pour être émues, mais pour juger ; parce que la société est devenue critique, de naïve qu’elle était. Il n’y a plus de bonne foi dans ses plaisirs. Le drame va tomber au peuple ; il était né du peuple et pour le peuple, il y retourne ; il n’y a plus que la classe populaire qui porte son cœur au théâtre. Or le drame populaire, destiné aux classes illettrées, n’aura pas de longtemps une expression assez noble, assez élégante, assez élevée pour attirer la classe lettrée ; la classe lettrée abandonnera donc le drame ; et quand le drame populaire aura élevé son parterre jusqu’à la hauteur de la langue d’élite, cet auditoire le quittera encore, et il lui faudra sans cesse redescendre pour être senti. Des hommes de génie tentent, en ce moment même, de faire violence à cette destinée du drame. Je fais des vœux pour leur triomphe ; et, dans tous les cas, il restera de glorieux monuments de leur lutte. C’est une question d’aristocratie et de démocratie ; le drame est l’image la plus fidèle de la civilisation.

La poésie sera de la raison chantée, voilà sa destinée pour longtemps ; elle sera philosophique, religieuse, politique, sociale, comme les époques que le genre humain va traverser ; elle sera intime surtout, personnelle, méditative et grave ; non plus un jeu de l’esprit, un caprice mélodieux de la pensée légère et superficielle, mais l’écho profond, réel, sincère, des plus hautes conceptions de l’intelligence, des plus mystérieuses impressions de l’âme. Ce sera l’homme lui-même et non plus son image, l’homme sincère et tout entier. Les signes avant-coureurs de cette transformation de la poésie sont visibles depuis plus d’un siècle ; ils se multiplient de nos jours. La poésie s’est dépouillée de plus en