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DE LA POÉSIE.

doux, plus mélancolique et plus grave remplit la vallée : c’était le chant des psaumes, qui, s’élevant à la fois de chaque monastère, de chaque église, de chaque oratoire, de chaque cellule des rochers, se mêlait, se confondait en montant jusqu’à nous comme un vaste murmure, et ressemblait à une seule plainte mélodieuse de la vallée tout entière qui venait de prendre une âme et une voix ; puis un nuage d’encens monta de chaque toit, sortit de chaque grotte, et parfuma cet air que les anges auraient pu respirer. Nous restâmes muets et enchantés comme ces esprits célestes quand, planant pour la première fois sur le globe qu’ils croyaient désert, ils entendirent monter de ces mêmes bords la première prière des hommes ; nous comprîmes ce que c’était que la voix de l’homme pour vivifier la nature la plus morte, et ce que serait la poésie à la fin des temps, quand, tous les sentiments du cœur humains éteints et absorbés dans un seul, la poésie ne serait plus ici-bas qu’une adoration et un hymne !

Mais nous ne sommes pas à ces temps : le monde est jeune, car la pensée mesure encore une distance incommensurable entre l’état actuel de l’humanité et le but qu’elle peut atteindre ; la poésie aura d’ici là de nouvelles, de hautes destinées à remplir.

Elle ne sera plus lyrique dans le sens où nous prenons ce mot ; elle n’a plus assez de jeunesse, de fraîcheur, de spontanéité d’impression, pour chanter comme au premier réveil de la pensée humaine. Elle ne sera plus épique ; l’homme a trop vécu, trop réfléchi pour se laisser amuser, intéresser par les longs écrits de l’épopée, et l’expérience a détruit sa foi aux merveilles dont le poëme épique enchantait sa crédulité. Elle ne sera plus dramatique, parce que la scène de la vie réelle a, dans nos temps de liberté et