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DES DESTINÉES

montrer sa figure de paix, de résignation et de charité dans cette scène solennelle de ruines et de méditation. Il nous fit entrer dans une petite cour intérieure, pavée aussi d’éclats de statues, de morceaux de mosaïques et de vases antiques, et, nous livrant sa maison, c’est-à-dire deux petites chambres basses sans meubles et sans portes, il se retira et nous laissa, suivant la coutume orientale, maîtres absolus de sa demeure.

Pendant que nos Arabes plantaient en terre, autour de la maison, les chevilles de fer pour y attacher par des anneaux les jambes de nos chevaux, et que d’autres allumaient un feu dans la cour pour nous préparer le pilau et cuire les galettes d’orge, nous sortîmes pour jeter un second regard sur les monuments qui nous environnaient. Les grands temples étaient devant nous comme des statues sur leur piédestal ; le soleil les frappait d’un dernier rayon, qui se retirait lentement d’une colonne à l’autre, comme les lueurs d’une lampe que le prêtre emporte au fond du sanctuaire ; les mille ombres des portiques, des piliers, des colonnades, des autels, se répandaient mouvantes sous la vaste forêt de pierre, et remplaçaient peu à peu sur l’acropolis les éclatantes lueurs du marbre et du travertin. Plus loin, dans la plaine, c’était un océan de ruines qui ne se perdait qu’à l’horizon ; on eût dit des vagues de pierre brisées contre un écueil, et couvrant une immense plage de leur blancheur et de leur écume. Rien ne s’élevait au-dessus de cette mer de débris, et la nuit, qui tombait des hauteurs déjà grises d’une chaîne de montagnes, les ensevelissait successivement dans son ombre. Nous restâmes quelques moments assis, silencieux et pensifs, devant ce spectacle sans paroles, et nous rentrâmes à pas lents dans la petite cour de l’évêque, éclairée par le foyer des Arabes.