Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 1.djvu/416

Cette page a été validée par deux contributeurs.
414
MÉDITATIONS

Ainsi quand deux torrents dans deux gorges profondes,
De deux monts opposés précipitant leurs ondes,
Dans le lit trop étroit qu’ils vont se disputer
Viennent au même instant tomber et se heurter,
Le flot choque le flot ; les vagues courroucées,
Rejaillissant au loin par les vagues poussées,
D’une poussière humide obscurcissent les airs,
Du fracas de leur chute ébranlent les déserts,
Et, portant leur fureur au lit qui les rassemble,
Tout en s’y combattant leurs flots roulent ensemble.
Mais la foudre se tait. Écoutez !… Des concerts
De cette plaine en deuil s’élèvent dans les airs :
La harpe, le clairon, la joyeuse cymbale,
Mêlant leurs voix d’airain, montent par intervalle,
S’éloignent par degrés, et sur l’aile des vents
Nous jettent leurs accords, et les cris des mourants !…
De leurs brillants éclats les coteaux retentissent ;
Le cœur glacé s’arrête, et tous les sens frémissent,
Et dans les airs pesants que le son vient froisser
On dirait qu’on entend l’âme des morts passer !
Tout à coup le soleil, dissipant le nuage,
Éclaire avec horreur la scène du carnage ;
Et son pâle rayon, sur la terre glissant,
Découvre à nos regards de longs ruisseaux de sang,
Des coursiers et des chars brisés dans la carrière,
Des membres mutilés épars sur la poussière,
Les débris confondus des armes et des corps,
Et les drapeaux jetés sur des monceaux de morts.

Accourez maintenant, amis, épouses, mères !
Venez compter vos fils, vos amants et vos frères ;
Venez sur ces débris disputer aux vautours
L’espoir de vos vieux ans, le fruit de vos amours…