Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 1.djvu/414

Cette page a été validée par deux contributeurs.
412
MÉDITATIONS

La foudre dort encore, et sur la foule immense
Plane, avec la terreur, un lugubre silence :
On n’entend que le bruit de cent mille soldats
Marchant comme un seul homme au-devant du trépas,
Les roulements des chars, les coursiers qui hennissent,
Les ordres répétés qui dans l’air retentissent,
Ou le bruit des drapeaux soulevés par les vents,
Qui, dans les camps rivaux flottant à plis mouvants,
Tantôt semblent, enflés d’un souffle de victoire,
Vouloir voler d’eux-mêmes au-devant de la gloire,
Et tantôt, retombant le long des pavillons,
De leurs funèbres plis couvrir leurs bataillons.

Mais sur le front des camps déjà les bronzes grondent :
Ces tonnerres lointains se croisent, se répondent ;
Des tubes enflammés la foudre avec effort
Sort, et frappe en sifflant comme un souffle de mort :
Le boulet dans les rangs laisse une large trace,
Ainsi qu’un laboureur qui passe et qui repasse,
Et, sans se reposer déchirant le vallon,
À côté du sillon creuse un autre sillon :
Ainsi le trait fatal dans les rangs se promène,
Et comme des épis les couche dans la plaine.
Ici, tombe un héros moissonné dans sa fleur,
Superbe, et l’œil brillant d’orgueil et de valeur.
Sur son casque doré, d’où jaillit la lumière,
Flotte d’un noir coursier l’ondoyante crinière :
Ce casque éblouissant sert de but au trépas ;
Par la foudre frappé d’un coup qu’il ne sent pas,
Comme un faisceau d’acier il tombe sur l’arène ;
Son coursier bondissant, qui sent flotter la rêne,
Lance un regard oblique à son maître expirant,
Revient, penche sa tête, et le flaire en pleurant.