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DE LA POÉSIE.

sublime mêlée des intelligences couvrirait la France et le monde du plus beau comme du plus hardi mouvement intellectuel qu’aucun de nos siècles eût encore vu ? Qui m’eût dit cela alors, je ne l’aurais pas cru, et cependant cela est.

La poésie n’était donc pas morte dans les âmes, comme on le disait dans ces années de scepticisme et d’algèbre ; et puisqu’elle n’est pas morte à cette époque, elle ne meurt jamais.

Tant que l’homme ne mourra pas lui-même, la plus belle faculté de l’homme peut-elle mourir ? Qu’est-ce, en effet, que la poésie ? Comme tout ce qui est divin en nous, cela ne peut se définir par un mot ni par mille. C’est l’incarnation de ce que l’homme a de plus intime dans le cœur et de plus divin dans la pensée, dans ce que la nature visible a de plus magnifique dans les images et de plus mélodieux dans les sons ! C’est à la fois sentiment et sensation, esprit et matière ; et voilà pourquoi c’est la langue complète, la langue par excellence qui saisit l’homme par son humanité tout entière, idée pour l’esprit, sentiment pour l’âme, image pour l’imagination, et musique pour l’oreille ! Voilà pourquoi cette langue, quand elle est bien parlée, foudroie l’homme comme la foudre, et l’anéantit de conviction intérieure et d’évidence irréfléchie, ou l’enchante comme un philtre, et le berce immobile et charmé, comme un enfant dans son berceau, aux refrains sympathiques de la voix d’une mère ! Voilà pourquoi aussi l’homme ne peut ni produire ni supporter beaucoup de poésie ; c’est que le saisissant tout entier par l’âme et par les sens, et exaltant à la fois sa double faculté, la pensée par la pensée, les sens par les sensations, elle l’épuise, elle l’accable bientôt, comme toute jouissance trop complète, d’une voluptueuse fatigue, et lui fait rendre en peu de vers, en peu d’instants, tout ce