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DE LA POÉSIE.

fouer par ses grands hommes jurés, mais dont les lambeaux, échappés à leurs mains flétrissantes, venaient nous consoler de notre avilissement intellectuel, et nous apporter à l’oreille et au cœur ce souffle lointain de morale, de poésie, de liberté, que nous ne pouvions respirer sous la coupe pneumatique de l’esclavage et de la médiocrité.

M. de Châteaubriand, génie alors plus mélancolique et plus suave, mémoire harmonieuse et enchantée d’un passé dont nous foulions les cendres et dont nous retrouvions l’âme en lui ; imagination homérique jetée au milieu de nos convulsions sociales, semblable à ces belles colonnes de Palmyre, restées debout et éclatantes, sans brisure et sans tache, sur les tentes noires et déchirées des Arabes, pour faire comprendre, admirer et pleurer le monument qui n’est plus ! Homme qui cherchait l’étincelle du feu sacré dans les débris du sanctuaire, dans les ruines encore fumantes des temples chrétiens, et qui, séduisant les démolisseurs mêmes par la pitié, et les indifférents par le génie, retrouvait des dogmes dans le cœur, et rendait de la foi à l’imagination !

Des mots de liberté et de vertu politique sonnaient moins souvent et moins haut dans ses pages toutes poétiques ; ce n’était pas le Dante d’une Florence asservie, c’était le Tasse d’une patrie perdue, d’une famille de rois proscrits ; chantant ses amours trompés, ses autels renversés, ses tours démolies, ses dieux et ses rois chassés, les chantant à l’oreille des proscripteurs, sur les bords mêmes des fleuves de la patrie ; mais son âme, grande et généreuse, donnait aux chants du poëte quelque chose de l’accent du citoyen. Il remuait toutes les fibres généreuses de la poitrine, il ennoblissait la pensée, il ressuscitait l’âme ; c’était assez pour tourmenter le sommeil des geôliers de notre intelligence. Par je ne sais quel instinct de leur nature, ils pressentaient