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MÉDITATIONS POÉTIQUES.

Ces entretiens et ces lectures m’inspirèrent l’idée de rassembler dans un seul chant les différents caractères et les principales images des divers poëtes sacrés. J’écrivis ceci en cinq ou six matinées, au bruit des causeries de mes amis, dans ma petite chambre de l’hôtel de Richelieu. J’en fis hommage à M. de Genoude, par reconnaissance de son affection pour moi.

Il m’aida, quelque temps après, à trouver un éditeur pour mon premier volume des Méditations. Il fut constamment plein d’obligeance et de grâce amicale pour moi. Il se destinait alors à l’état ecclésiastique. Quelques années plus tard, il renonça à cette pensée, rencontra dans le monde une jeune personne d’une grâce noble et d’une âme plus noble encore : il l’épousa ; elle lui laissa des fils. Le veuvage et la tristesse le ramenèrent à ses premières vocations. Il entra au séminaire et se fit prêtre ; mais il voulut, et je m’en affligeai pour lui, avoir un pied dans le sanctuaire, un pied dans le monde politique. Fausse attitude. Dieu est jaloux, et le monde est logique. Le prêtre, dans aucune religion, ne peut combattre. M. de Genoude resta journaliste, et devint député. La politique ne rompit pas notre ancienne amitié, mais elle rompit nos opinions et nos rapports. Il mourut les armes à la main. J’aurais voulu qu’il les déposât au pied de l’autel avant l’heure du tombeau. N’importe ! Nous nous trompons tous : quelle est donc la vie qui n’ait pas de fausses routes ? Une larme les efface, une intention droite les redresse : Dieu est grand ! — Il reste de M. de Genoude une mémoire sans tache, d’immenses travaux qui ont vulgarisé le sentiment de la liberté en greffant ce sentiment sur des idées ou sur des préjugés monarchiques, et de l’estime dans tous les partis. Sa mort laisse un vide dans mes souvenirs. Je le voyais peu dans le présent, mais je l’aimais dans son passé.