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MÉDITATIONS

Ou plutôt que ne puis-je, au doux tomber du jour,
Quand, le front soulagé du fardeau de la cour,
Tu vas sous tes bosquets chercher ton Égérie,
Suivre, en rêvant, tes pas de prairie en prairie,
Jusqu’au modeste toit par tes mains embelli,
Où tu cours adorer le silence et l’oubli !
J’adore aussi ces dieux : depuis que la sagesse
Aux rayons du malheur a mûri ma jeunesse,
Pour nourrir ma raison des seuls fruits immortels,
J’y cherche en soupirant l’ombre de leurs autels ;
Et s’il est au sommet de la verte colline,
S’il est sur le penchant du coteau qui s’incline,
S’il est aux bords déserts du torrent ignoré
Quelque rustique abri, de verdure entouré,
Dont le pampre arrondi sur le seuil domestique
Dessine en serpentant le flexible portique ;
Semblable à la colombe errante sur les eaux,
Qui, des cèdres d’Arar découvrant les rameaux,
Vola sur leur sommet poser ses pieds de rose,
Soudain mon âme errante y vole et s’y repose.
Aussi, pendant qu’admis dans les conseils des rois,
Représentant d’un maître, honoré par son choix,
Tu tiens un des grands fils de la trame du monde,
Moi, parmi les pasteurs, assis aux bords de l’onde,
Je suis d’un œil rêveur les barques sur les eaux,
J’écoute les soupirs du vent dans les roseaux ;
Nonchalamment couché près du lit des fontaines,
Je suis l’ombre qui tourne autour du tronc des chênes,
Ou je grave un vain nom sur l’écorce des bois,
Ou je parle à l’écho qui répond à ma voix,
Ou, dans le vague azur contemplant les nuages,
Je laisse errer comme eux mes flottantes images.
La nuit tombe, et le Temps, de son doigt redouté,
Me marque un jour de plus que je n’ai pas compté.