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PRÉFACE

poëtes grecs et latins qu’on m’imposa ensuite comme à tous les enfants dans les études de collége. Il y a de quoi dégoûter le genre humain de tout sentiment poétique. La peine qu’un malheureux enfant se donne à apprendre une langue morte, et à chercher dans un dictionnaire le sens français du mot qu’il lit en latin ou en grec dans Homère, dans Pindare ou dans Horace, lui enlève toute la volupté de cœur ou d’esprit que lui ferait la poésie même, s’il la lisait couramment en âge de raison. Il cherche, au lieu de jouir. Il maudit le mot sans avoir le loisir de penser au sens. C’est le pionnier qui pioche la cendre ou la lave dans les fouilles de Pompéi ou d’Herculanum pour arracher du sol, à la sueur de son front, tantôt un bras, tantôt un pied, tantôt une boucle de cheveux de la statue qu’il déterre, au lieu du voluptueux contemplateur qui possède de l’œil la Vénus restaurée sur son piédestal, dans son jour, dans sa grâce et dans sa nudité, parmi les divinités de l’art du Vatican ou du palais Pitti à Florence.

Quant à la poésie française, les fragments qu’on nous faisait étudier chez les jésuites consistaient en quelques pitoyables rapsodies du père Ducerceau et de madame Deshoulières, dans quelques épîtres de Boileau sur l’Equivoque, sur les bruits de Paris, et sur le mauvais dîner du restaurateur Mignot. Heureux encore quand on nous permettait de lire l’épître à Antoine,

Son jardinier d’Auteuil,
Qui dirige chez lui l’if et le chèvrefeuil ;


et quelques plaisanteries de sacristie empruntées au Lutrin !

Qu’espérer de la poésie d’une nation qui ne donne pour modèle du beau dans les vers à sa jeunesse que des poëmes