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DES MÉDITATIONS.

Quoi qu’il en soit, mon père, qui était trop poli pour s’ennuyer de mauvais vers au foyer même du poëte, donna quelques éloges aux rimes du vieillard, siffla ses chiens, et me ramena à la maison. Je lui demandai en chemin quelles étaient donc ces jolies lignes égales, symétriques, espacées, encadrées de roses, liées de rubans, qui étaient sur la table. Il me répondit que c’étaient des vers, et que notre hôte était un poëte. Cette réponse me frappa. Cette scène me fit une longue impression ; et depuis ce jour-là, toutes les fois que j’entendais parler d’un poëte, je me représentais un beau vieillard assis près d’une fenêtre ouverte à large horizon, dans une maisonnette au bord de grands bois, au murmure d’une source, aux rayons d’un soleil d’été tombant sur sa plume, et écrivant entre ses oiseaux et son chien des histoires merveilleuses, dans une langue de musique dont les paroles chantaient comme les cordes de la harpe de ma mère, touchées par les ailes invisibles du vent dans le jardin de Milly.

Une telle image, à laquelle se mêlait sans doute le souvenir des pêches, du pain bis, de la bonne servante, des pigeons privés, du chien caressant, était de nature à me donner un grand goût pour les poëtes, et je me promettais bien de ressembler à ce vieillard et de faire ce qu’il faisait quand je serais vieux. Les beaux versets des psaumes de David, que notre mère nous récitait le dimanche en nous les traduisant pour nous remplir l’imagination de piété, me paraissaient aussi une langue bien supérieure à ces misérables puérilités de la Fontaine, et je comprenais que c’était ainsi qu’on devait parler à Dieu.

Ce furent là mes premières notions et mes premiers avant-goûts de poésie. Ils s’effacèrent longtemps et entièrement sous le pénible travail de traduction obligée des