Page:Lallier - Le spectre menaçant, roman canadien, c1932.djvu/82

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 84 —

le milieu de votre terre, car le chemin coupe les lots en deux. Bon courage, ajouta-t-il, en le quittant immédiatement.

L’endroit désigné par le guide près du Chemin du Roi était situé au milieu d’une haute futaie que, probablement par mégarde ou à cause du bois franc qui s’y trouvait, les compagnies forestières avaient épargnée. Voici l’endroit tout désigné pour la maison future, dit le père Lescault, pointant son index vers le pied d’une petite colline des flancs de laquelle coulait une source d’eau limpide. Sans hésiter un seul moment, Pierre Lescault fit d’abord un grand signe de croix, enleva sa « bougrine », saisit le manche de sa hache à deux taillants et s’élança à l’assaut du premier arbre.

Le sol trembla sous le coup de ce premier choc. Cette terre vierge frémit-elle dans sa pudeur offensée, ou est-ce la seule force du bras de ce vaillant Canadien qui la fit tressaillir si fortement ? Elle seule pourrait le dire ; mais elle reste toujours muette pour les profanes. C’est dans son langage propre qu’elle s’adresse à ceux qui lui témoignent de l’amour. Ah ! qu’elle doit dire de belles choses au colon penché vers elle pour lui arracher ce qu’elle recèle et qui deviendra sa nourriture, sa vie ! Ceux qui la regardent avec mépris, ou qui ne s’en servent que pour jouir par le fruit du travail auquel d’autres s’astreignent, ne peuvent en apprécier la saveur. Elle dut néanmoins répondre favorablement à Pierre Lescault. Après une pause où il sembla écouter sa réponse, une