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La messe finie, André se rendit à déjeuner et paya sa pension d’avance pour une autre journée. Comme l’inactivité lui pesait il résolut d’aller faire une promenade vers le barrage pour voir ce qui s’y passait, bien décidé cependant à ne demander de l’ouvrage que le lundi.

— Ce sera toujours un dimanche de moins à travailler, se dit-il.

Il s’engagea sur la voie du chemin de fer servant à la construction, pour se rendre au lieu du barrage. Il s’arrêta sur le bord de la falaise surplombant le torrent, dans lequel se précipitait l’eau de la Grande-Décharge, écumant, faisant un bruit infernal. Ce bruit se mêlait à celui des locomotives et des centaines de feux de forge qui crachaient une fumée noire, enveloppant des milliers d’ouvriers. Ces hommes portaient chacun un numéro leur donnant l’allure d’esclaves, ou plutôt de pénitents de pénitenciers. Quelques-uns poussaient des brouettes remplies de charbon pour alimenter les feux. Des forgerons frappaient à tour de bras le fer rouge sur l’enclume. Les employés au chemin de fer précipitaient d’innombrables barres d’acier d’un convoi, pendant que d’autres déchargeaient des sacs de ciment par milliers. Des locomotives traînaient de la roche cassée ou du béton dans d’immenses cuves que des grues basculaient dans des formes de bois, à mesure qu’elles arrivaient. Le tout exécuté sous le commandement sévère et brutal de contremaîtres sans entrailles. Vrai