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commise ! Enfin, puisque tu ne veux pas qu’on parte pour les États.

— Non, un déraciné comme tu dis, c’est assez. Douze, ce serait un désastre !

— Et puis ?

— Songe que tu as encore douze enfants à la maison ?

— C’est vrai, assez pour fonder une paroisse au Lac Saint-Jean ou en Gaspésie.

— Tu auras bientôt soixante-cinq ans ! Mais enfin je préfère encore cela aux États-Unis ; au moins nous serons avec les nôtres.

— Nous avons encore six grands garçons qui ne demandent qu’à travailler ; ça peut en faire de la terre dans un an !

— Prendre une terre en « bois debout », habiter une cabane, ce n’est pas ce qu’il y a de plus invitant, dit Madame Lescault en guise de conclusion.

Il y eut un moment de silence. Tout le monde regardait avec un air de tristesse ces murs familiers qu’il leur faudrait quitter pour toujours.

— Prendre une terre « en bois debout », reprit Pierre Lescault songeur. Oui… il ne faut pas trop appuyer sur le mot. Le bois, on prend ce qu’il en reste ; après que les grandes compagnies forestières ont passé, c’est un peu comme si le feu avait tout ravagé. Enfin on prend ce qui reste, avec les chicots et les branches sèches. En dessous, la terre est là, la bonne terre de Québec, fertile, abondante et n’attendant que des bras pour la retourner et lui arracher les richesses qu’elle recèle.