l’humiliation de travailler à gages, lui qui avait toujours eu la servitude en horreur. Il avait tant et si souvent vanté la belle indépendance du cultivateur et la supériorité de celui-ci sur le journalier, comparant les ouvriers des usines modernes aux mercenaires d’autrefois ! Ne s’était-il même pas imputé la responsabilité du crime d’André à cause de l’instruction qu’il lui avait fait donner et qui avait amené son détachement de la terre ?
Paul et Joseph retournèrent gaiement à la maison, pressés d’annoncer la bonne nouvelle à leur père.
— Deux esclaves de plus aux mains des magnats de la pulpe, fut la décevante appréciation de Pierre Lescault au succès de ses deux fils ; mais quand ceux-ci lui eurent raconté leur entrevue avec Monsieur Drassel, il se radoucit un peu.
— Y a p’t-être encore des riches qui ont du cœur, dit-il. En tout cas, ça nous empêchera de mourir de faim ! Faute d’un gros pain on se contente d’un petit ! J’avais pourtant dit que mes fils ne seraient jamais des esclaves d’usines !
— Nous demandons à Dieu notre pain quotidien, dit Madame Lescault, intervenant dans la conversation ; il nous le donne. Remercions-le plutôt que de maugréer sur la manière qu’il nous le sert ! Nous nous habituerons à la ville ; d’autres s’y sont faits, et qui te dit que beaucoup d’inondés auront la même chance que nous ? Car, pour une chance, c’en est une, d’après l’histoire que nous a racontée Paul.