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qui s’avançait à pas de tortue vers les inondés. Les officiers faisaient des sondages pour ne pas échouer, ce qui retardait d’autant l’arrivée du secours.

Pierre Lescault, tige vivace transplantée des bords du Saint-Laurent au Lac-Saint-Jean, qui avait ajouté un nouveau fleuron à la belle couronne de fermes, entourant cette mer intérieure, allait-il mourir à la terre ? Lui tournerait-il le dos, maintenant qu’elle s’obstinait à rester dérobée à ses yeux, couverte d’une immense nappe d’eau ? Mystère, que lui seul pourrait éclaircir. Pierre Lescault, un déraciné ! devenir un habitant des villes ! Quelle horreur ; mais c’était pourtant ce qui lui restait de mieux à faire, en attendant que la « Compagnie » l’indemnise.

Si un conifère, germé sur un rocher escarpé, y vit à l’état rabougri, on ne transplante pas avec succès un chêne poussé en bonne terre, sur un cap dénudé ; il y meurt, parce qu’il n’a pas ce sol profond où ses racines, puisent en abondance. Quelle longue et triste agonie pour un campagnard que de toujours se retrouver sur la chaussée brûlante, rongé par l’ennui et le souvenir d’injustices dont il est la victime ! C’était pourtant le sort réservé à Pierre Lescault. Que se passa-t-il dans son esprit quand le canot vint les recueillir pour les transborder au bateau, qui les attendait au large ? Seule sa foi en Dieu lui donna le courage de mettre le pied sur la frêle embarcation qui était la seule planche de salut à