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sances publiques, le capitaine prisait toujours l’honneur de se retrouver en sa compagnie.

Après les premiers combats livrés entre son cœur et sa raison, où le cœur devait fatalement avoir le dessus dans cette poitrine de vingt ans, Angéline sentit les premiers rayons de bonheur l’envahir. Sa gaieté et son entrain en faisaient foi, malgré qu’elle eût voulu le dissimuler, pour ne pas faire de peine à son amie Antoinette d’abord, et de crainte aussi de faire jaser les commères qui attendent toujours une occasion pour donner libre cours à leur penchant naturel pour la calomnie ou la médisance. Elle ne se laissait pas moins bercer par les illusions naturelles aux jeunes filles de son âge. Elle voyait dans ses rêves d’avenir le jour de son mariage avec le charmant capitaine, entourée de toutes ses amies et certainement enviée par elles ; puis la possibilité d’un voyage de noces en aéroplane dans les belles paroisses de la rive sud du fleuve et même jusqu’en Gaspésie, où elle ferait la connaissance de la famille de Jacques qu’elle aimait déjà sans la connaître et qui, comme la sienne, était une famille de pécheurs. Leur éducation supérieure loin de nuire à leur bonheur ne devait que le compléter, se disait-elle. Aucune disparité de condition sociale n’existant entre elle et son amoureux, elle ne pouvait qu’être la bienvenue dans sa famille. Jacques, après tout, pourrait bien embrasser une autre carrière une fois marié, qui pût être moins hasardeuse. Ils pourraient peut-être s’établir sur la rive sud, où les communications par chemin de fer sont faciles, et où l’on jouit presque du confort des villes. Elle se voyait entourée d’une belle petite famille au sein de laquelle s’écouleraient des jours heureux.

De son côté, Jacques n’était pas sans faire des projets d’avenir, tout en poursuivant son œuvre comme si rien d’anormal n’était venu troubler son existence.

Le curé s’était aussi très intéressé à cette petite trame d’amour, mais « gardait de Conrad le silence prudent », attendant sans doute qu’on le consultât ; mais il ne manquait jamais l’occasion tout en badinant, de s’informer de