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pour n’avoir pas à les exterminer tous pour leur manque de loyauté envers lui, allait les déporter sur les bateaux qui les attendaient au large ; que leurs terres seraient confisquées au profit du roi pour le dédommager des dépenses encourues par cette expédition.

On était venu à bout de maîtriser Bazile, de sorte qu’on fit avertir les femmes de se « gréer » pour le lendemain, pendant qu’on retiendrait les hommes à l’église.

Si vous aviez vu ça comme c’était triste ! Des femmes avec leurs enfants dans les bras qui traînaient leurs paillasses ! Des vieillards qui avaient de la peine à marcher, et qu’on conduisait comme un troupeau vers la grève. Évangéline, qui accompagnait son vieux père, rencontra Gabriel entre deux soldats : ils ne voulurent même pas les laisser s’embrasser avant de les embarquer sur leur bateau. Pas un petit brin d’adieux où ils auraient pu se dire à l’oreille où se rencontrer.

Le père d’Évangéline, qui fit comme la femme de Loth et regarda en arrière, vit sa maison en feu de même que tout le village et les maisons et dépendances des fermes environnantes. À la vue de ce spectacle, il lâcha un grand cri et tomba mort ! On l’enterra sur la grève après que le curé, qui lui aussi suivait le cortège, eût récité des prières.

On embarqua les hommes sur un bateau et les femmes sur l’autre. La paillasse de l’un était mise à bord du « bateau contraire ». Les femmes étaient séparées de leurs maris et les mères de leurs enfants ; et vogue la galère pendant que leur village brûlait encore.

Les cruels officiers, sur les ordres de leurs maîtres, dispersèrent les pauvres victimes depuis Boston, dans la Nouvelle-Angleterre jusque sur les confins de la Louisiane. Évangéline fut laissée quelque part en Floride, pendant que le bateau qui transportait Gabriel avec son père entra dans le golfe du Mexique et les conduisit quelque part sur le Mississipi où ils furent débarqués.

— Donne-moi un verre d’eau, le petit, j’commence à avoir la gorge sèche, dit le conteur en s’interrompant lui-même.