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Bellefontaine que courtisait Gabriel, le fils de Bazile, le forgeron du village. Leur demeure n’était pas loin de celle d’Évangéline, et quand celle-ci allait traire sa « caillette », il manœuvrait toujours pour la rencontrer ; de son côté, « elle ne se faisait pas tirer l’oreille », car elle l’aimait bien et avec raison, parce que c’était un fameux beau garçon, planté comme un chêne et doué de la force de son père, qui se faisait fort de maîtriser le cheval le plus fringant qu’on pût lui amener à ferrer.

Ha ! ha ! ha ! Il y « avé » une « foa » un Anglais qui lui avait lancé un défi et il a cassé la patte de son cheval avec son bras de fer. « Ya pas » revenu celui-là.

Or, comme ça faisait déjà assez longtemps que les « jeunesses » se courtisaient, il fallut bien songer à les marier. On fixa donc le mariage pour le six juin et il fut convenu que le vieux notaire Leblanc viendrait passer le contrat deux jours avant le mariage.

Les « jeunesses » avaient le cœur gai comme de bonne ; mais les vieux avaient l’air plutôt triste. « Y avé » une chose qui intriguait la population du village : depuis deux jours, deux corvettes anglaises ancrées au large tenaient leurs canons braqués sur Grandpré comme si elles eussent voulu le bombarder. « Y avé » même un canon qui avait l’air pointé sur l’église quand on se mettait en ligne entre le bateau et l’église. Ça nous paraissait comme ça du moins.

— Étiez-vous là, père Comeau ? interrompit le petit espiègle Thomas.

— Tiens ! tiens ! quand je dis nous, c’est pour vous faire mieux comprendre ! c’tarrivé il y a cent cinquante ans et je n’ai pas encore cet âge !

— Ça inquiétait bien le père Bazile qui était mauvais et avec ça qu’il pouvait battre quatre hommes à la fois. C’est vous dire que le sang y bouillait dans les veines. Quand il vint passer le contrat il en parla au père Bellefontaine et au notaire. Quant au notaire, qui était un homme craintif, ayant déjà eu maille à partir avec les Anglais, il ne disait pas grand chose ; mais le père d’Évangéline était