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Les milliers de lumières de la Rivière-du-Loup, ville construite en amphithéâtre sur le penchant d’une montagne, commençaient à percer, offrant un spectacle éblouissant… Les feux de la Saint-Jean s’allumèrent ici et là sur la rive droite, depuis la Rivière-du-Loup jusqu’à Mont-Joli, et ce fut bientôt un brasier éclairant toute la Côte, pendant les longues heures que mit à parcourir cette distance le petit bateau, qui se baladait harmonieusement au son rythmé des vagues.

La brise, se faisant moins caressante et plus froide, chassa un à un les passagers dans le petit salon situé sur le pont du navire.

Tout le monde se regardait comme chiens de faïence, écoutant le son grincheux d’un gramophone qui avait évidemment connu de meilleurs jours, et qui pendant tout le souper avait agacé les nerfs des amateurs du beau. La vieille boite à musique, continuellement approvisionnée par un garçon, de morceaux de jazz et de pseudo-chansons comiques, déversait à flots sa mélodie criarde, quand tout à coup une Américaine, rougissant sans doute du menu artistique provenant de son pays, partit d’un pas déterminé et alla fermer la boite, au grand contentement de l’assistance.

— Cette jeune fille doit être musicienne, dit-elle en anglais à sa voisine, en désignant Angéline ; car les jeunes filles qui ont fait leurs études dans les couvents canadiens sont presque toutes musiciennes.

— Demandez-lui donc, répondit la voisine ! Vous parlez le français, vous.

— Vous aussi, Madame, vous parlez français ?

Yes, but I speak the real parisian french, you know, and perhaps she cannot understand me ?

— Essayez tout de même.

— C’est vo joua the music, Mademoiselle ? dit-elle en s’adressant à Angéline. .

— Je joue un peu, Madame ; mais je n’ai pas mes cahiers.

— Elle m’a compris, dit-elle. Peut-être a-t-elle fait ses études à Paris ? Je vais le lui demander.