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La jeune fille tomba inerte sur le plancher, affaiblie par l’état où elle s’était trouvée pendant deux longs jours.

— Quant à toi, Josette Sinotte, fille de tous les diables, je t’ordonne de quitter ma paroisse et de n’y plus jamais remettre les pieds.

— Mais on irais-je, curé puissant, si je dois quitter le pays qui m’a vu naître ?

— Entre dans ce veau maigre qui est là, et n’en sors que quand le boucher daignera le tuer ; mais comme il sera toujours maigre et maladif, tu cours la chance d’attendre longtemps ta délivrance ; pendant ce temps-là, mes paroissiens auront la paix.

Josette Sinotte disparut comme par enchantement. Le veau maigre beugla bien un peu quand elle s’établit à demeure dans sa peau ; puis il se mit à brouter l’herbe comme si rien d’anormal n’était arrivé.

Elle courut ainsi le loup-garou pendant quarante ans. Personne n’osait approcher de ce bœuf maigre qui attirait pourtant la pitié ; mais tout le monde le savait en possession de la grand’noire. La goutte de sang qui l’aurait délivré, tardait toujours à venir ; si bien qu’étant devenu vieux et marchant un jour sur la berge du canal Chambly où il s’était réfugié, il perdit l’équilibre en voulant y boire et se noya.

À l’endroit où il tomba, l’eau bouillonne toujours, comme si un être vivant était au fond de l’eau, quoiqu’on n’y trouvât jamais aucune trace du bœuf quand on vidait le canal au printemps.

On entend cependant encore des gémissements, surtout les soirs de tempête, dans les bois environnants. Josette Sinotte n’eut même pas l’honneur de la sépulture qu’on donne aux enfants, morts sans avoir reçu le baptême.

On a érigé une clôture de fer autour de l’endroit où le bœuf maigre s’est noyé, pour empêcher les gens de s’en approcher.

On craint toujours que l’âme damnée de Josette Sinotte revienne sur la terre, pour recommencer ses sortilèges