Page:Lallier - Allie, 1936.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
– 78 –

quand d’autres garçons du village fréquentaient notre maison. Les frères propres éprouvent parfois de ces sentiments, soit que le jeune homme ne leur plaise pas, soit qu’il leur soit tout à fait antipathique ou, encore, à cause d’une conduite douteuse plus souvent connue des garçons que des jeunes filles. Je n’avais jamais pu me persuader que nous nous aimions comme s’aiment deux étrangers que le hasard fait se rencontrer en pleine force de leur jeunesse et qui finissent par s’épouser. De là cette indifférence apparente à ton égard. Quand tu t’enrôlas dans le corps du génie en partance pour la guerre sud-africaine, tu me dis une parole qui m’a comme ébahie, mais qui est restée gravée dans ma mémoire : « Ne te marie pas avant mon retour. » J’attribuai la gravité avec laquelle tu prononças ces mots à l’émotion du départ. Un frère aurait pu en dire autant à sa sœur : attends-moi pour les noces, en d’autres termes.

Tes lettres pleines d’affection, pendant que tu étais cantonné à Halifax en attendant de t’embarquer, m’émurent, je l’avoue, plus que des lettres d’un frère à une sœur. Je sentis alors dans mon cœur ce sentiment étrange qui, je m’en rendais compte, n’était pas l’amour fraternel. Maintes fois je suis venue sur le point de te l’avouer, mais, au moment de le faire, je me ravisais, de crainte de te paraître peut-être