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souvenirs

apportât une bouteille d’hippocras[1], dont nous bûmes devant elle, et nous la forçâmes d’en boire un peu. Nous voulûmes satisfaire aux obligations des extravagantes polies de ce jour, et nous criâmes : « La reine boit ! » — Saint-Simon rapporte, de son côté, qu’en 1701, « lorsqu’on eut tiré le gâteau, Louis XIV témoigna une joie qui parut vouloir être imitée. Il ne se contenta pas de crier : La reine boit ! comme en franc cabaret, il frappa et fit frapper chacun de sa cuiller et de sa fourchette sur son assiette, ce qui causa un charivari fort étrange, et qui, à plusieurs reprises, dura tout le souper[2]. »

Ce repas des Rois, qui se prolonge d’ordinaire assez avant dans la nuit, dut être, dans le principe, ainsi que le réveillon de Noël, une espèce de pervigilium ou de veille en l’honneur d’une divinité. Seulement, le temps que les premiers chrétiens ont pu consacrer d’abord à la prière, on a fini par le consacrer à la joie et à la bonne chère ; ce qui a inspiré à un vieil hagiographe cette réflexion par trop morose : « On passait autrefois la plus grande partie de la nuit des Rois à chanter des cantiques de louanges et d’actions de grâces ; maintenant plusieurs la passent dans des festins de dissolution, où l’on ne craint pas de mêler avec le saint nom de Dieu des folies superstitieuses du paganisme ; car on doit regarder ainsi la cérémonie qu’on appelle du Roi boit. »

On va voir, toutefois, que le clergé du vieux temps ne se faisait pas faute de mêler, en cette circonstance, le profane au sacré et que la folie des clercs allait au moins aussi loin que celle des laïques : — « À Bourges, dit M. Raynal, on célébrait à Notre-Dame de Sales la fête de l’Âne, le jour de l’Adoration des Mages. D’après la tradition, c’étaient les chanoines eux-mêmes qui représentaient les prophètes annonçant

  1. Espèce de vin de dessert dans lequel on faisait infuser des épices.
  2. Mémoires de Saint-Simon, ch. LXXX du t. Ier.