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du vieux temps

droite, fit onduler les jeunes branches du taillis, et deux loups énormes débouchèrent tout à coup dans la passée, s’y arrêtèrent à peine une seconde, et vinrent se camper au pied même du grand chêne.

Quoique ce ne fût point là le gibier qu’attendait le vieux chasseur, il abaissait déjà le canon de son fusil et s’apprêtait à leur envoyer une balle, lorsque l’un des loups s’adossant contre l’arbre, dit à son camarade :

— Je n’en puis plus, cette course m’a éreinté !… Donne-moi une prise.

L’autre loup tendit sa tabatière.

Que l’on nous permette une interruption : cet incident donnerait à croire que les faits que nous rapportons ne remontent pas même au milieu du seizième siècle, puisque le tabac ne fut introduit en France que vers l’année 1560.

— Sais-tu, continua le premier loup, en aspirant avec avidité la poudre de Nicot, sais-tu que le vieux baron perd patience ? Il m’a menacé, hier soir, de m’ôter sa clientèle et de t’en faire cadeau.

— À présent qu’il n’y a plus rien à frire, dit en ricanant le second loup, grand merci ! — D’ailleurs, il serait par trop curieux de voir un procureur se tourner contre d’anciens clients pour les forcer à acquitter des droits dont il était parvenu à les faire affranchir.

— Ce ne serait pas la première fois que cela t’arriverait, vieux madré, et tu en as bien fait d’autres, reprit le premier loup en accompagnant ces mots d’un rire éclatant auquel prit part son compagnon, et qui dégénéra bientôt en un hurlement prolongé.

Ici, le baron releva son arme et redoubla d’attention, car, dès les premiers mots, il avait reconnu, dans les deux bêtes rousses, maître Goupil et maître Lechat qui venaient de courir le Loup-Brou, et leur conversation prenait une tournure qui l’intéressait au dernier point.