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meurt avec le corps. Mais je ne croy pas qu’il se trouve des gens de cette opinion. Or si elle est immortelle, comme vous le croyez, & que vous ne vous trompiez pas dans l’opinion que nous avez de l’enfer & des péchez qui conduisent ceux qui les commétent, en ce Païs-là, vos ames ne se chaufferont pas mal.

Lahontan.

Ecoute, Adario, je croy qu’il est inutile que nous raisonnions davantage ; je vois que tes raisons n’ont rien de solide, je t’ay dit cent fois que l’exemple de quelques méchantes gens, ne concluoit rien ; tu t’imagines qu’il n’y a point d’Européan qui n’ait quelque vice particulier caché ou connu ; j’aurois beau te prêcher le contraire d’icy à demain, ce seroit en vain ; car tu ne mets aucune diférence de l’homme d’honneur au sçelerat. J’aurois beau te parler dix ans de suite, tu ne démordrois jamais de la mauvaise opinion que tu t’es formée, & des faux préjugez touchant nôtre Religion, nos Loix, & nos maniéres. Je voudrois qu’il m’eut coûté cent Castors que tu sçusse aussi bien lire & écrire qu’un François ; je suis persuadé que tu n’insisterois plus à mépriser si vilainement l’heureuse condition des Européans. Nous avons veu en France des Chinois & des Siamois qui sont des gens du bout du Monde, qui sont en toutes choses plus opposez à nos maniéres que les Hurons ; & qui cependant ne se pouvoient lasser d’y d’admirer nôtre maniére de vivre. Pour moy, je t’avoüe que je ne conçois rien à ton obstination.