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tu chasseras en repos ; tu seras delivré des passions qui tiranisent les François ; tu n’auras que faire d’or, ni d’argent, pour être heureux ; tu ne craindras ni voleurs, ni assassins, ni faux témoins ; & si tu veux devenir le Roi de tout le monde, tu n’auras qu’à t’imaginer de l’estre, & tu le seras.

Lahontan.

Ecoute, il faudroit pour cela que j’eusse commis en France de si grands crimes qu’il ne me fût permis d’y revenir que pour y être brûlé ; car, aprés tout, je ne vois point de métamorphose plus extravagante à un François que celle de Huron. Est-ce que je pourrois résister aux fatigues dont nous avons parlé ? Aurois-je la patience d’entendre les sots raisonnemens de vos Vieillards & de vos jeunes gens comme vous faites, sans les contredire ? Pourrois-je vivre de boüillons, de pain, de bled d’Inde, de rôti & boüilli, sans poivre ni sel ? Pourrois-je me colorer le visage de vint sortes de couleurs comme un fou ? Ne boire que de l’eau d’érable ? Aller tout nû durant l’été, me servir de vaisselle de bois ? M’acomoderois-je de vos repas continuels, où trois ou quatre cens personnes se trouvent pour y danser deux heures devant & aprés ? Vivrois-je avec des gens sans civilité, qui, pour tout compliment, ne sçavent qu’un je t’honore. Non mon cher Adario, il est impossible qu’un François puisse être Huron ; au lieu que le Huron se peut faire aisément François.